Le dernier rapport du Défenseur des droits ne laisse plus de place au doute : les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins sont systématiquement surcontrôlés par la police en France. Ce ciblage, loin d’être marginal, repose sur des pratiques massives, répétées, rarement justifiées, et presque jamais tracées. L’État français, pour la première fois, reconnaît avec clarté la dimension structurelle de cette discrimination.
Ce que dit le Défenseur des Droits, précisément
Publié le 23 juin 2025, le volume 1 de l’enquête Accès aux droits du Défenseur des droits porte sur les relations police/population. Il s’appuie sur un échantillon représentatif de 5 030 personnes âgées de 18 à 79 ans, interrogées par téléphone entre octobre 2024 et janvier 2025.
Ses conclusions sont nettes :
- 26 % des personnes interrogées ont été contrôlées au moins une fois au cours des cinq dernières années.
- Cette proportion grimpe à 39 % chez celles perçues comme noires, arabes ou maghrébines, contre 23 % chez les personnes perçues comme blanches uniquement.
- Les jeunes hommes perçus comme racisés ont 4 fois plus de risques d’être contrôlés, et 12 fois plus de risques de subir un contrôle « poussé » (fouille, palpation, injonction de quitter les lieux, interpellation).
Une discrimination qui ne dit pas son nom
Le rapport ne parle pas explicitement de racisme structurel, mais les chiffres dessinent une réalité connue des sociologues, des ONG, et des personnes concernées : celle d’un profilage racial routinier, ciblant les mêmes corps, les mêmes quartiers, les mêmes apparences.
Ces contrôles, en apparence anodins, s’inscrivent dans une logique de suspicion permanente. Non seulement leur fréquence est disproportionnée, mais leur intensité l’est aussi :
- 22 % des personnes contrôlées ont subi une fouille,
- 11 % ont reçu un ordre de partir,
- 6 % ont été plaquées contre un mur ou un véhicule,
- 3 % ont été emmenées au poste.
Et surtout : dans plus de la moitié des cas (52 %), aucune justification n’est donnée par les agents de police.
Pour Aly Dioura, député La France Insoumise, l’Etat ne s’attaque pas aux discriminations dans la police mais plutôt accentue ces contrôles au faciès.
Plutôt que de s’attaquer à ces discriminations systémiques, Bruno Retailleau a organisé une chasse contre tous ceux considérés comme non-blancs. C’est une opération de tri ethnique, raciste et xénophobe, avec les mêmes cibles : les quartiers populaires, les étrangers et les réfugiés.
L’État sans mémoire
Malgré les nombreuses alertes lancées depuis 2016 par le Défenseur des droits lui-même, la CNCDH, ou la Cour des comptes, aucune traçabilité sérieuse des contrôles d’identité n’est en place.
Le numéro RIO (identifiant des agents), les caméras-piétons ou les dispositifs de formation sont soit absents, soit inefficaces. Le rapport insiste sur l’absence de récépissé, de base de données, ou de procédure d’enregistrement systématique.
Autrement dit, les contrôles discriminatoires ne laissent pas de trace. Ce qui, juridiquement, les rend inattaquables.
La peur d’agir, le choix de se taire
Parmi les personnes ayant subi un comportement inapproprié (insultes, tutoiement, usage injustifié de la force), seules 8 % ont engagé un recours : dépôt de plainte, saisine d’une association, contact avec un avocat ou le Défenseur des droits.
La plupart des personnes se sont contentées d’en parler à leurs proches (73 % des personnes concernées).
Mais plus frappant encore : 26 % des victimes déclarent n’avoir parlé à personne de l’incident. Le rapport évoque une forme d’épuisement démocratique, où l’absence de réponse institutionnelle désarme symboliquement les citoyens.
Une reconnaissance sans conséquence ?
En 2017, le Conseil d’État avait reconnu le caractère discriminatoire de plusieurs contrôles policiers. Depuis, les recommandations s’accumulent. Mais aucune réforme contraignante n’a vu le jour. Le rapport de 2025 répète les mêmes préconisations :
- Traçabilité systématique,
- Récépissé de contrôle,
- Encadrement juridique des motifs,
- Formation des agents,
- Dispositif de recours indépendant.
Sans réponse législative, cette reconnaissance officielle du ciblage racial risque de rester un constat de plus, lu et ignoré comme les précédents. Une petite victoire au niveau européen a été obtenue par Karim Touil qui a fait condamner de la France pour contrôle d’identité discriminatoire. Il avait été contrôlé par les forces de l’ordre à trois reprises en dix jours sans qu’aucune « justification objective et raisonnable ».