Le rapport A/HRC/59/23 de la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Francesca Albanese, remis ce 30 juin 2025, met en cause de nombreuses entreprises internationales dans le maintien et l’accélération de la colonisation israélienne et du génocide en cours à Gaza. Parmi elles, plusieurs entreprises françaises sont directement ou indirectement impliquées dans des activités économiques associées à l’occupation. Leur rôle illustre à quel point le « business as usual » contribue à perpétuer des situations d’injustice prolongée.
Une responsabilité déjà documentée
Dès 2020, la base de données du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies (résolution 31/36) recensait des entreprises ayant « directement et indirectement permis, facilité et tiré profit de la construction et de l’expansion des colonies israéliennes ». Le rapport 2025 s’appuie sur cette base, l’actualise, et la croise avec les données issues d’ONG comme Who Profits, le collectif Don’t Buy Into Occupation, ou encore le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’Homme.
La Rapporteuse a établi une base de données de près de 1 000 entités commerciales impliquées dans des violations des droits humains et des crimes internationaux dans le territoire palestinien occupé. »
Parmi les entreprises françaises citées dans ces travaux, plusieurs apparaissent régulièrement :
- AXA : via des investissements dans des banques israéliennes (Bank Leumi, Hapoalim) finançant la colonisation. Jusqu’en 2021, AXA détenait également des parts dans l’entreprise d’armement Elbit Systems, avant un retrait partiel sous pression militante.
- Egis (filiale de la Caisse des dépôts et consignations) : impliquée dans la construction et la maintenance du tramway de Jérusalem, reliant les colonies au cœur de la ville, légitimant ainsi l’annexion.
- Systra (co-entreprise SNCF/RATP) : associée à Egis dans ce projet. Elle est également ciblée par des ONG pour son absence de diligence dans le respect des droits humains.
D’autres entreprises, moins médiatisées, peuvent aussi être impliquées via des chaînes d’approvisionnement, des filiales ou des investissements indirects dans des fonds actifs dans les colonies. L’opacité des structures financières rend difficile l’identification complète des responsabilités.
Une responsabilité renforcée depuis 2023
Depuis octobre 2023 et les massacres à Gaza, la Rapporteuse dépeint un basculement :
Des acteurs commerciaux qui auparavant permettaient l’élimination et l’effacement des Palestiniens dans le cadre de l’économie de l’occupation sont désormais impliqués dans l’économie du génocide. »
Les entreprises ne sont plus seulement accusées de tirer profit d’une occupation illégale selon le droit international, mais aussi de contribuer, parfois matériellement, à des actes pouvant relever du crime de génocide, du crime d’apartheid, et de la complicité de crime de guerre.
Par exemple, AXA, en investissant dans Elbit Systems, a indirectement financé des technologies utilisées pour bombarder Gaza. Dans une logique de devoir de vigilance, cette contribution est juridiquement et moralement questionnable.
Le droit international oblige
La Rapporteuse rappelle que le droit international des droits humains et le droit international humanitaire imposent aux États le devoir de surveiller les activités de leurs entreprises nationales. En France, la loi sur le devoir de vigilance de 2017 impose déjà aux grandes entreprises de publier un plan de vigilance pour prévenir les atteintes graves aux droits humains dans leurs chaînes de valeur.
Les États peuvent être en violation de leurs obligations s’ils ne préviennent pas, n’enquêtent pas, ne sanctionnent pas ou ne réparent pas les atteintes commises par des tiers. »
Or, en Palestine, peu d’actions concrètes ont été entreprises par les autorités françaises pour faire respecter cette exigence. L’inertie politique contraste avec les alertes constantes des ONG et les mobilisations citoyennes.
Le cas spécifique du tramway de Jérusalem
Le projet du tramway de Jérusalem incarne cette dynamique d’infrastructure coloniale. Conçu pour relier les colonies illégales aux quartiers centraux, il permet une normalisation de la présence israélienne en Cisjordanie occupée. Egis et Systra, en contribuant à sa réalisation, consolident l’annexion de Jérusalem-Est, pourtant reconnue comme territoire occupé par l’ONU.
En 2022, la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) en France avait placé ces entreprises sous le feu des projecteurs. Des universités, des collectivités et des banques avaient été appelées à se désengager de tout partenariat avec elles.
Que peuvent faire les citoyens et les institutions ?
Les recommandations du rapport sont claires :
- exiger la transparence des investissements des entreprises françaises,
- imposer un désengagement des contrats commerciaux liés à la colonisation,
- soutenir les actions en justice contre les entreprises fautives,
- promouvoir le boycott des produits et services de ces firmes tant qu’elles n’ont pas changé de politique.
Le rapport de Francesca Albanese agit comme un catalyseur : il renforce le cadre juridique, met en lumière des complicités souvent niées, et appelle les citoyens, les élus et les médias à interroger les responsabilités françaises.
La Palestine n’est pas seulement une question diplomatique : elle est aussi une affaire de comptes, de profits, et de silences complices. L’avenir du droit international dépend aussi de la capacité à exiger des comptes à ceux qui, de Paris à Jérusalem, transforment l’apartheid en opportunité économique.