Un rapport confidentiel du Parlement européen pointe des dysfonctionnements dans la gestion des fonds du groupe Identité et Démocratie entre 2019 et 2024. Appels d’offres litigieux, surfacturations présumées et enrichissement supposé de sociétés proches : anatomie d’un système de financement controversé.
Nouvelles interrogations autour du financement du Rassemblement national. Un rapport interne de 31 pages de la direction des affaires financières du Parlement européen, révélé jeudi 3 juillet par Le Monde et ses partenaires européens (Die Zeit, Kontraste et Falter), soulève des questions sur la gestion des fonds publics européens par le groupe Identité et Démocratie (ID), dont faisait partie le RN jusqu’en 2024.
Selon ce document, 4,3 millions d’euros de crédits de fonctionnement auraient été « indûment dépensés » entre 2019 et 2024. Une somme qui s’ajouterait aux 3,5 millions d’euros déjà réclamés par le Parlement européen dans l’affaire des assistants parlementaires fictifs, pour laquelle Marine Le Pen a été condamnée en première instance.
Un réseau d’entreprises sous surveillance
Au cœur du système mis en question par les enquêteurs figurent deux entreprises liées à l’univers lepéniste : Unanime (rebaptisée Europacomm) et e-Politic, toutes deux en lien avec Frédéric Chatillon, ancien chef du GUD (association étudiante d’extrême-droite) et prestataire du parti français depuis 2012.
L’agence de communication e-Politic aurait ainsi encaissé 1,7 million d’euros suite à un appel d’offres que les enquêteurs jugent problématique. Cette société, dans laquelle Frédéric Chatillon et Axel Loustau détiendraient 45%, illustre les liens entre les activités politiques du RN et les intérêts économiques de ses proches.
Frédéric Chatillon fait l’objet de poursuites judiciaires. Il est mis en examen pour notamment « faux et usage de faux », « escroquerie », « abus de biens sociaux » et « blanchiment » pour des présumées surfacturations de kits de campagne en 2012. Malgré ses démêlés judiciaires, l’homme reste un personnage central de l’écosystème financier du RN.
Méthodes et pratiques questionnées
Le rapport du Parlement européen dresse un tableau des pratiques qui soulèvent des interrogations. Les dysfonctionnements pointés incluent des appels d’offres présumés fictifs, l’absence supposée de mise en concurrence, des surfacturations alléguées et l’enrichissement présumé de sociétés proches du RN.
Ces fonds européens, alloués par le Parlement et destinés exclusivement au fonctionnement des groupes parlementaires, doivent être dépensés pour le fonctionnement du groupe ou ses activités politiques. Or, selon le rapport, ils auraient été utilisés pour financer des contrats opaques, des dons injustifiés, et des prestataires liés à la mouvance gravitant autour du RN.
Le caractère supposé systématique de ces dysfonctionnements interroge sur les mécanismes de contrôle du Parlement européen. Comment un groupe politique a-t-il pu, pendant cinq années consécutives, orchestrer de telles pratiques sans être inquiété ? La réponse réside en partie dans l’opacité des procédures internes et la confiance accordée aux groupes parlementaires dans la gestion de leurs budgets.
Un système rodé depuis des années
Cette nouvelle affaire s’inscrit dans une longue série de scandales financiers impliquant le RN et ses dirigeants. Elle révèle surtout la professionnalisation d’un système de captation des fonds publics, qu’ils soient français ou européens.
L’implication récurrente des mêmes entreprises et des mêmes personnes dans ces affaires suggère l’existence d’un réseau organisé, capable de contourner les règles de transparence et de concurrence. Les liens entre Frédéric Chatillon et le RN, maintenus malgré les poursuites judiciaires, illustrent cette logique de cercle fermé où les intérêts privés et politiques s’entremêlent.
Une impunité qui perdure
Face à ces révélations, la réaction du RN suit un schéma désormais classique : déni, minimisation et dénonciation d’un « acharnement » judiciaire. Cette stratégie de défense, qui a fait ses preuves auprès de l’électorat lepéniste, permet au parti d’extrême droite de maintenir sa crédibilité politique malgré l’accumulation des scandales.
Pourtant, l’ampleur des sommes en jeu et la répétition des pratiques présumées frauduleuses posent une question démocratique fondamentale : comment un parti peut-il prétendre incarner l’alternance politique tout en étant soupçonné d’organiser méthodiquement le détournement de fonds publics ?
Vers de nouvelles procédures judiciaires ?
Si ce rapport interne du Parlement européen n’a pas encore donné lieu à des poursuites pénales, il pourrait constituer le point de départ de nouvelles procédures judiciaires. Les éléments rassemblés par les services financiers de l’institution bruxelloise fournissent en effet une base pour d’éventuelles enquêtes nationales ou européennes.
La multiplication des affaires impliquant le RN et ses satellites révèle l’urgence d’un renforcement des contrôles sur l’utilisation des fonds publics par les partis politiques. Elle souligne aussi la nécessité d’une réforme profonde des mécanismes de financement politique, tant au niveau national qu’européen.
Cette nouvelle affaire de détournements présumés vient rappeler que la conquête du pouvoir par l’extrême droite française s’accompagne d’interrogations sur sa conception de la chose publique, où les frontières entre intérêts privés et politiques semblent particulièrement poreuses.