Vendredi soir, les premiers camions arrivent dans un silence feutré, chargés de matériel, de sonos et de cantines collectives. Sur les terres agricoles bordant le château de Maurens-Scopont, un camp s’installe. Le propriétaire, un agriculteur local solidaire, a ouvert ses grilles sans hésiter au millier de participants. “Ici, vous êtes chez vous”, confient les organisateurs.
Drapeaux palestiniens car la résistance à la colonisation est partout
Le château du XVe siècle, austère et majestueux, accueille tambours et banderoles. Dès l’après-midi, un immense drapeau palestinien est déployé sur sa façade, visible depuis la route nationale. Sur le camp, plusieurs pancartes affichent le slogan « Colonisation ici, résistance partout », symbole d’une lutte locale enracinée dans un combat global. Ce message est repris dans le communiqué officiel publié par les Soulèvements de la Terre.
Des stands proposent brochures, sérigraphies et cartes du tracé de l’autoroute. Une banderole emblématique annonce : « Stop à l’A69 et son monde », un appel clair à la résistance contre ce projet jugé inutile et destructeur.
Amalia, venue avec le collectif Extinction Rebellion Toulouse, plante sa tente. Elle explique :
Cette lutte dépasse la simple opposition à une autoroute. C’est une question de survie, de vision politique. L’A69, c’est la négation du vivant.”
La soirée se déroule au rythme d’une musique grave et envoûtante. Des militants historiques venus de Notre-Dame-des-Landes ou de Bure évoquent une possible intensification des actions, sans renier la convivialité du rassemblement.
À quelques mètres du chantier, la fête bascule dans la tension
Samedi en milieu de journée, plusieurs centaines de manifestants se dirigent vers le chantier de l’A69, situé à quelques centaines de mètres à peine. En tête du cortège, les banderoles s’agitent, les tambours résonnent. Un dispositif de 1 500 gendarmes et policiers les attend, équipé de drones, blindés, et d’un hélicoptère.
Les manifestants cherchent à passer, mais sont repoussés par un usage massif de gaz lacrymogènes et grenades de désencerclement. Des jets de pierres et quelques fumigènes répondent à la charge policière. Plusieurs blessés légers sont signalés par les militants, sans bilan officiel communiqué.
Pour Philippe Tabarot, ministre des Transports, « l’État ne pliera pas devant des professionnels de la contestation qui ne respectent pas la loi ».
La violence est préparée. Malgré l’interdiction préfectorale, l’ultra-gauche défie la justice et l’État sur le chantier de l’A69. »
Le rapporteur spécial des Nations Unies a déclaré l’année dernière que la France était le pire pays d’Europe sur la criminalisation des militants écologistes.
Malgré la tension, les militants restent soudés et certains déclarent à la presse :
On est là pour défendre la terre, pas pour faire la guerre. Mais s’il faut bloquer, il faudra bloquer.”
Paroles de feu, visages de lutte
De retour au campement, la colère mêlée à la fatigue laisse place aux prises de parole publiques. Amalia, d’Extinction Rebellion Toulouse, déclare dans un micro improvisé :
Le projet A69 a été jugé illégal en justice, puis réautorisé rapidement. Cela montre l’urgence d’une mobilisation populaire forte. S’il faut aller au-delà de la loi, on le fera.”
Sur la scène, un drapeau palestinien trône toujours, rappelant la solidarité internationale portée par les organisateurs. Un militant explique :
La dépossession des terres est un combat global. Ce n’est pas juste une lutte locale, c’est un symbole.”
Le collectif La Voie est Libre rappelle que l’autoroute profite surtout à la circulation de marchandises, au détriment des populations locales et de l’environnement. Le communiqué officiel des Soulèvements de la Terre souligne de son côté la dimension festive et politique de l’événement :
La Turboteuf a été une démonstration de force populaire, festive et déterminée. Nous avons dansé, cuisiné, chanté, combattu. L’A69 est un saccage. Mais nous sommes le vivant qui se défend.”
Danser sur les ruines d’un monde qui vacille
Alors que le soleil se couche sur Maurens-Scopont, la Turboteuf s’achève sur une note d’épuisement mêlé à une détermination fébrile. Cette fête combative, encadrée par un important dispositif policier, aura incarné la colère écologique contre un projet routier symbole d’un monde à bout de souffle.
Les machines continuent leur œuvre de béton, mais les résistants poursuivent la bataille sur le terrain, dans les tribunaux, et dans les consciences. Le drapeau palestinien, hissé fièrement sur le château, rappelle l’importance d’une lutte globale, ancrée dans les solidarités anticoloniales.
La Turboteuf, bien plus qu’une simple fête, est une insurrection joyeuse : un moment où la musique et la danse deviennent des actes politiques. Elle exprime la voix des vivants qui refusent l’inéluctable.
Comme le murmure un militant dans la nuit tombante :
Nous sommes le vivant qui se défend. Nous sommes ceux qui dansent, encore.”