On croyait ces temps révolus mais le poison revient. Non plus en catimini, mais au grand jour, voté par quelques hommes pressés, dans une salle fermée, au nom du “réalisme agricole”.
Il revient sous un nom pâle, acétamipride, mais avec les mêmes promesses de rendement, les mêmes effets collatéraux sur les abeilles, les sols, et les organismes. Il revient alors que tout s’effondre, et que ceux qui tentent de sauver le vivant sont toujours les premiers à être ignorés.
Le 26 mai 2025, la “loi Duplomb” a signé ce retour. Le vivant, une fois encore, devra s’adapter à la logique d’un monde qui préfère sa fin à sa transformation.
La réintroduction controversée d’un insecticide interdit
Le 26 mai 2025, l’Assemblée nationale a rejeté la proposition de loi portée par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb, visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Le texte a toutefois été renvoyé en commission mixte paritaire (CMP), où députés et sénateurs ont pu valider plusieurs articles contestés, sans nouveau débat public en séance.
Parmi les mesures les plus controversées figure la réintroduction dérogatoire de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018, mais toujours autorisé dans l’Union européenne jusqu’en 2033.
Ce pesticide est principalement utilisé pour lutter contre les pucerons, notamment dans les cultures de betteraves sucrières et de noisettes. Selon Le Figaro, ce sont ces deux filières qui ont plaidé activement pour son retour, en lien étroit avec la FNSEA, arguant d’un besoin urgent de solutions face aux pertes de rendement.
Interrogé dans les médias, Laurent Duplomb défend sa proposition comme un simple alignement avec les normes européennes. L’objectif est de revenir à ce que connaissent les voisins européens.
Du côté des critiques, l’ONG Générations Futures rappelle que la substance est toxique pour les pollinisateurs, persistante dans les sols et l’eau (demi-vie dans l’eau de 79,7 jours selon l’ECHA), et que sa réintroduction « serait incompréhensible et dangereuse ».
L’acétamipride, poison discret
C’est un nom qu’on ne prononce jamais sans hésitation, mais que les spécialistes connaissent bien : l’acétamipride. Un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, longtemps vanté comme « moins toxique » que ses cousins. Il est pourtant dans le viseur de l’EFSA, l’agence européenne de sécurité des aliments.
Dans un avis publié en mai 2024, l’EFSA estime que les données actuelles ne permettent ni de confirmer ni d’écarter un risque de neurotoxicité développementale, c’est-à-dire des atteintes au cerveau du fœtus ou de l’enfant. Les experts recommandent même de diviser par cinq la dose journalière admissible, en attendant d’en savoir plus.
Selon ces derniers, il existe des incertitudes importantes quant aux effets sur le développement cérébral, en particulier via les récepteurs nicotiniques du cerveau en formation.
Sur le terrain, les conséquences sont connues depuis longtemps. Chez les abeilles et les pollinisateurs, l’acétamipride perturbe la mémoire, l’orientation, la capacité à retrouver la ruche. Des colonies entières déclinent sans bruit, en périphérie des champs traités.
Autre source d’inquiétude : la contamination des sols et de l’eau. Le pesticide persiste dans les cultures feuillues (salades, épinards…) où son métabolite IM-2-1 reste détectable plusieurs semaines après l’épandage. Si bien que l’EFSA a recommandé de revoir les seuils de résidus tolérés pour les consommateurs européens.
Les agriculteurs, eux, sont en première ligne. Le port de protections est requis, mais rarement appliqué strictement sur le terrain. Et la réintroduction de l’acétamipride par la loi Duplomb s’accompagne d’une nouveauté décriée : l’autorisation des pulvérisations par drone. Une aberration sanitaire dénoncée par Emmanuelle Halm (APABA, Aveyron) :
Le retour de la pulvérisation par drone est une aberration. Cela va impacter tout le monde, y compris les agriculteurs bio, qui se retrouvent exposés à des contaminations contre lesquelles ils luttent chaque jour »
Colère des ONG, médecins et scientifiques
Quand la loi Duplomb s’invite dans les chambres feutrées du Parlement, une vague d’indignation monte du terrain. Sur son site, l’ONG Générations Futures fustige l’acétamipride : « Il serait incompréhensible et dangereux de réautoriser en France […] ce néonicotinoïde ! »
Elle souligne sa grande persistance dans l’eau (demi‑vie de 79,7 jours) et pointe les failles de l’évaluation européenne, qui n’a pas totalement mesuré la sensibilité des abeilles et solitaires aux effets sublétaux.
Parallèlement, l’UNAF (Union nationale de l’apiculture française) se réjouit de la décision du Conseil d’État du 5 juin 2025, confirmant la légitimité de l’interdiction, malgré les offensives de l’agrochimie.
La lettre iconoclaste de 1 000 scientifiques et médecins, adressée aux parlementaires en mai‑juin 2025, tire la sonnette d’alarme : les risques neurodéveloppementaux sont réels, le principe de précaution ignoré. Ils appellent à l’extension de l’interdiction au niveau européen. Ils dénoncent la création d’un comité d’orientation qui fragiliserait l’indépendance de l’ANSES et alertent notamment sur :
un risque accru pour les agriculteurs de lymphomes non hodgkiniens (LNH), de myélomes, de cancers de la prostate, de la maladie de Parkinson et d’atteintes au neuro‑développement ».
Le 2 juin 2025, Demeter et 25 ONG publient une tribune demandant aux députés de rejeter la loi Duplomb.
La proposition constitue un signal alarmant : celui d’un recul brutal des protections sanitaires et environnementales arrachées au fil des luttes citoyennes et scientifiques. »
Face à ce déluge critique, la FNSEA et les sénateurs favorables à la loi brandissent l’argument de la “surtransposition” : selon eux, l’interdiction française dépasse les normes européennes, pénalisant des filières comme la betterave et la noisette.
Les oubliés : bio, paysans et apiculteurs sur le front
Les apiculteurs, notamment à Toulouse et Bordeaux, ont manifesté en tenue de travail contre ce retour des pesticides “tueurs d’abeilles” en scandant : » Duplomb, ta loi a du plomb dans l’aile ! », déployant une banderole « Protégeons les abeilles et la biodiversité ».
Pour la profession c’est un véritable cauchemar. Beaucoup craignent de ne plus pouvoir protéger leurs abeilles. « C’est un retour en arrière pour tout le monde ! … On détruit la biodiversité », explique un professionnel au micro du média La Dépêche.
La nouvelle loi autorise des pulvérisations par drone, soulevant un risque de contamination croisée des parcelles certifiées. Le sentiment d’abandon est palpable dans les réseaux professionnels et syndicats bio.
Le retour de la pulvérisation par drone est une aberration. Cela va impacter tout le monde, y compris les agriculteurs bio, qui se retrouvent exposés à des contaminations contre lesquelles ils luttent chaque jour. »
Emmanuelle Halm, coordinatrice de l’APABA en Aveyron, qui tire la sonnette d’alarme.
Dans le même temps, l’UNAF s’est exprimée après la décision du Conseil d’État du 5 juin 2025, confirmant la légitimité de l’interdiction de l’acétamipride. Ce dernier insiste sur la cohérence des interdictions au regard des dangers pour les pollinisateurs.
La Confédération paysanne dénonce « des régressions agricoles, sanitaires et écologiques comme jamais ». Selon des chiffres relayés en presse agricole, 70 % des exploitations bio risquent d’être affectées par des contaminations croisées. L’association rappelle que « plus de 80% des agriculteurs sont favorables à la transition agro-écologique ».
Un choix politique lourd de conséquences
La loi Duplomb incarne un retour en arrière toxique, une volonté manifeste de préserver à tout prix un modèle agricole productiviste fondé sur les pesticides. Derrière le voile des “contraintes pour les agriculteurs”, c’est une bataille d’intérêts puissants qui s’exprime : la FNSEA, les betteraviers, l’agro-industrie, face à une société civile toujours plus exigeante en matière d’écologie et de santé.
Cette loi a été adoptée dans la précipitation, avec un passage en commission mixte paritaire qui a court-circuité tout débat parlementaire approfondi. Ce faisant, elle creuse le fossé entre élus et citoyens, entre experts de terrain et lobbies.
Pourtant, partout sur le territoire, des voix s’élèvent pour un autre chemin : celui de l’agroécologie, du biocontrôle, des cultures résistantes, des circuits courts. Ces alternatives, souvent mises en avant par les mouvements paysans et les ONG, ne cessent de prouver leur efficacité face aux ravageurs, tout en respectant la santé humaine et la biodiversité.
L’enjeu est crucial : quel avenir voulons-nous léguer ? Celui d’une terre empoisonnée, vidée de sa vie, ou celui d’un vivant multiple, fragile et rebelle ?