Deux ans après la mort de Nahel Merzouk, abattu à bout portant par un policier dans les rues de Nanterre, la justice française s’apprête à trancher. Le procès du policier Florian M. pour meurtre se déroulera aux assises courant 2026. Une décision qui sonne comme un tournant dans une affaire qui a cristallisé les tensions autour des violences policières et révélé les fractures profondes de la société française.
Le tir fatal qui a embrasé la France
Le 27 juin 2023, vers 8h du matin, Nahel Merzouk, 17 ans, a été tué d’une balle tirée à bout portant par un policier qui contrôlait le véhicule qu’il conduisait. Filmée par un passant, la scène glaçante, un tir à bout portant, malgré l’absence de menace directe contre les forces de l’ordre selon les images, a immédiatement fait le tour des réseaux sociaux.
Les images montrent clairement le policier pointer son arme vers le jeune homme au volant d’une Mercedes AMG, avant de tirer mortellement. Ce qui devait être un simple contrôle routier s’est transformé en tragédie, déclenchant immédiatement une onde de choc nationale et internationale.
Des émeutes sans précédent depuis 2005
Les émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk ont commencé le 27 juin 2023 à Nanterre, à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux des images de l’intervention policière.
Les révoltes urbaines qui ont suivi ont pris une ampleur inédite depuis les émeutes de 2005. Environ 1 300 condamnations ont été prononcées, dont plusieurs centaines à des peines de prison ferme. Plus de 800 membres des forces de l’ordre ont été blessés, et des milliers de bâtiments publics, véhicules et commerces ont été endommagés ou incendiés.
Ces chiffres témoignent de la colère qui s’est emparée des quartiers populaires, mais aussi de la violence de la répression qui a suivi. Les images de villes en feu, de commerces pillés et de voitures brûlées ont marqué l’opinion publique, divisant la société française entre ceux qui y voient l’expression d’une colère légitime et ceux qui dénoncent des actes de vandalisme injustifiables.
La controverse de la cagnotte : plus d’un million d’euros pour le policier
L’une des séquences les plus choquantes de cette affaire reste la cagnotte organisée en soutien au policier Florian M. Le fonds créé par un proche d’Éric Zemmour a suscité l’indignation de la famille et de plusieurs politiciens et sympathisants du jeune tué par le policier et dépasse plus que largement le montant de celle qui a été ouverte pour la famille de Nahel.
Cette cagnotte, lancée par Jean Messiha, ancien conseiller d’Éric Zemmour, a récolté plus d’un million six cent mille euros en quelques jours, révélant une fracture béante dans la société française. Tandis que la famille de Nahel peinait à réunir 490 100 euros, les donateurs se sont pressés pour soutenir financièrement le policier et sa famille.
L’enquête sur la cagnotte lancée par Jean Messiha en soutien à la famille du policier Florian M., qui a touché mortellement d’un tir le jeune Nahel à Nanterre (Hauts-de-Seine) en juin 2023, a été classée sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Cette décision a achevé de convaincre beaucoup que deux poids, deux mesures s’appliquent selon qu’on soit policier ou jeune des quartiers.
Un procès historique pour meurtre
Après presque deux ans d’instruction, la justice vient de franchir un cap décisif. Le policier ayant tué Nahel à Nanterre en 2023 sera jugé pour meurtre aux assises, a annoncé la justice. Un procès prévu courant 2026. Plus précisément, un procès pourrait se tenir au second ou au troisième trimestre 2026.
Cette qualification en meurtre, et non en homicide involontaire, marque une rupture avec la jurisprudence habituelle dans les affaires de violences policières. Le ministère public a requis lundi un procès aux assises pour meurtre, à l’encontre du policier auteur d’un tir mortel contre le jeune homme de 17 ans, le 17 juin 2023 à Nanterre.
La décision du parquet de requérir un procès pour meurtre constitue un précédent important. Habituellement, les affaires de tirs policiers mortels sont traitées sous l’angle de l’homicide involontaire ou de la légitime défense. Ici, le ministère public estime que les éléments de l’enquête caractérisent un homicide volontaire.
La défense du policier : « jamais cherché à tuer »
Face à cette accusation de meurtre, l’avocat du policier Florian M., Me Laurent-Franck Liénard, maintient fermement l’innocence de son client. Le policier «n’a jamais cherché à tuer», affirme son avocat. Me Laurent-Franck Liénard, son avocat, juge au micro d’Europe 1 cette décision « lunaire » et dénonce les arguments du parquet, les qualifiant d’infondés et biaisés par des facteurs extérieurs.
La stratégie de défense semble s’articuler autour de l’argument de la légitime défense et de la nécessité de neutraliser un véhicule en fuite. Son avocat a évoqué dans le JDD une « action de protection ».
Mounia Merzouk : « Je n’arrive pas à faire mon deuil »
Du côté de la famille de Nahel, la douleur reste vive. Mounia Merzouk a expliqué ne pas souhaiter pas faire le procès des violences policières, mais bien « des deux policiers qui ont tué [son] fils ».
« Nahel était un enfant, était mon enfant », a-t-elle poursuivi en larmes. « Il ne méritait pas de mourir comme ça. »
« Mon combat, c’est d’obtenir justice pour mon fils », revendique Mounia Merzouk. Dans ses nombreuses prises de parole, elle ne cesse de répéter que « la douleur que j’ai, à l’intérieur de moi, est invivable ».
La mère de Nahel refuse de faire son deuil tant que justice ne sera pas rendue. Son combat pour la justice de son fils est devenu un symbole de la lutte contre l’impunité policière.
Lors d’un rassemblement pour commémorer les deux ans de sa mort, le maire de Nanterre a annoncé qu’une plaque commémorative sera installée. Une démarche symbolique forte qui provoque déjà beaucoup de critiques du côté des politiques de droite et d’extrême droite.
Un enjeu qui dépasse le cas Nahel
Ce procès aux assises représente bien plus qu’un simple jugement individuel. Il cristallise les tensions autour des violences policières en France et pose la question de l’impunité dont peuvent jouir les forces de l’ordre.
Pour la famille de Nahel et les associations de défense des droits de l’homme, ce procès constitue un test de la capacité de la justice française à juger équitablement les forces de l’ordre. Pour les syndicats policiers, il représente une remise en cause dangereuse de l’autorité et des prérogatives des policiers sur le terrain.
« La mort de Nahel a été vue et filmée. Le monde entier la vue. On sait qu’il y a du racisme. On est là pour dénoncer ce racisme présent au sein du système policier, judiciaire et au niveau de l’État », Assa Traoré du Comité Vérité pour Adama.
La France face à ses divisions
L’affaire Nahel a révélé les fractures profondes de la société française. D’un côté, les quartiers populaires qui dénoncent depuis des décennies les violences policières et le sentiment d’impunité. De l’autre, une partie de la population qui soutient massivement les forces de l’ordre, comme l’a montré le succès de la cagnotte.
« Il y a eu une théorisation mensongère, relayée par les médias, disant que Nahel était un délinquant au casier judiciaire plein. Cela pour justifier l’injustifiable », Mornia Labssi, militante contre les violences policières et l’islamophobie.
Cette polarisation s’est également traduite dans la sphère politique, avec des positions tranchées qui ont contribué à attiser les tensions. Au moment des faits, le syndicat France Police, proche de l’extrême droite, publiait un tweet félicitant les deux policiers impliqués dans la mort de Nahel Merzouk et attaquait la victime et sa famille, révélant la radicalisation d’une partie des forces de l’ordre. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, avait dû condamner les propos du syndicat.
Vers un procès sous haute tension
Quand s’ouvrira le procès en 2026, près de trois ans se seront écoulés depuis la mort de Nahel. Cette affaire aura marqué un tournant dans la perception des violences policières en France. Pour la première fois depuis longtemps, un policier sera jugé pour meurtre devant une cour d’assises pour un tir mortel lors d’un contrôle routier.
De nombreux soutiens de la famille étaient présents à la commémoration des deux ans de la mort de Nahel Merzouk à Nanterre (Hauts-de-Seine). La famille, les amis et les associations qui luttent contre les violences policières continuent de réclamer justice.
Ce procès sera scruté bien au-delà de nos frontières, comme un baromètre de la capacité de la France à faire face à ses démons et à réformer ses pratiques policières. L’issue de cette affaire pourrait redéfinir les relations entre police et population dans les quartiers populaires pour les années à venir.
Le verdict, quel qu’il soit, marquera une génération. Pour Mounia Merzouk, mère courageuse devenue malgré elle le visage de cette lutte, l’enjeu reste simple : obtenir justice pour son fils Nahel, tué à 17 ans dans les rues de Nanterre.