Une étude publiée sur la plateforme Harvard Dataverse par le chercheur israélien Yaakov Garb, affilié à l’Université Ben Gourion du Néguev (Israël), a suscité une onde de choc en révélant un déficit démographique de 377 000 personnes dans la bande de Gaza depuis le début de l’offensive israélienne en octobre 2023.
Basée sur des données militaires israéliennes et une analyse spatiale, l’étude met en lumière les dynamiques des centres de distribution d’aide humanitaire, tout en pointant une crise démographique sans précédent. Ces chiffres, largement relayés sur les réseaux sociaux et dans certains médias, ont toutefois été critiqués pour une mauvaise interprétation de leur portée. Alors que les Etats-Unis continuent de soutenir le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou, cet écart démographique soulève des questions brûlantes sur la responsabilité des grandes puissances et leur inaction face à ce que beaucoup qualifient de génocide.
Une étude basée sur des données militaires israéliennes
L’étude de Yaakov Garb, intitulée Les zones de “distribution d’aide” israéliennes/américaines/GHF à Gaza : jeu de données et analyse initiale de leur localisation, contexte et structure interne, s’appuie sur des estimations démographiques fournies par les Forces de défense israéliennes (FDI) et des images satellites pour analyser les centres de distribution d’aide mis en place par la Fondation humanitaire pour Gaza (GHF) fin mai 2025, créée par les israéliens pour remplacer l’UNRWA (agence de l’ONU). Selon le rapport, la population de Gaza, estimée à 2,227 millions d’habitants avant le conflit, serait tombée à 1,85 million, soit une perte de 377 000 personnes, représentant environ 17 % de la population totale. Ce chiffre, six fois supérieur aux bilans officiels de 61 000 morts rapportés par le ministère de la Santé de Gaza au 24 juin 2025, inclut les personnes décédées, disparues sous les décombres, déplacées ou détenues dans des conditions inconnues.
Yaakov Garb précise que ces données proviennent des estimations des FDI sur les populations restantes dans trois principales enclaves : Gaza-ville (1 million), Al-Mawasi (500 000, bien qu’une erreur de frappe corrigée indique 700 000) et le centre de Gaza (350 000). Cependant, l’étude ne conclut pas explicitement à 377 000 morts, mais à un « déficit démographique » pouvant inclure des décès, des déplacements forcés, des détentions ou des personnes non comptabilisées dans des zones dévastées. Une analyse du New York Times note que les bombardements israéliens, incluant l’utilisation de plus de 208 bombes MK-84 de 900 kg, ont contribué à cette catastrophe, notamment dans des zones densément peuplées comme le sud de Gaza.
Contexte géopolitique : un soutien occidental sous le feu des critiques
Selon l’ONU, 90 % de la population de Gaza, soit environ 1,9 million de personnes, a été déplacée, souvent à plusieurs reprises, dans des conditions de privation extrême. Les rapports d’Amnesty International, publiés en décembre 2024, qualifient les actions israéliennes de « génocide », citant des bombardements intensifs, la destruction d’infrastructures civiles (60 % des logements, 342 écoles, 24 hôpitaux) et un blocus humanitaire entravant l’accès à l’eau, à la nourriture et aux soins. L’UNICEF rapporte que 10 000 femmes, dont 6 000 mères, ont été tuées, laissant 19 000 enfants orphelins.
Face à ces chiffres, les puissances occidentales, notamment les États-Unis, sont critiquées pour leur soutien militaire à Israël. Les États-Unis ont fourni 17,9 milliards de dollars d’aide sécuritaire à Israël depuis octobre 2023, incluant plus de 5 000 bombes MK-84. Le gouvernement français, qui a longtemps prétendu ne pas fournir d’armes à Israël, ait également accusé par des ONG et des enquêtes journalistes prouvant sa complicité avec Tel Aviv.
Malgré les appels de l’ONU à un cessez-le-feu permanent et à un accès humanitaire sans entraves, les points de passage pour l’aide ont été fermés à nouveau le 2 mars 2025, après une trêve de 42 jours. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, a déclaré dans un interview que « l’idée d’une race pure n’est pas morte avec Hitler », visant directement le gouvernement d’extrême droite israélien.
La gestion humanitaire : une récidive de la politique coloniale
Cet écart démographique peut être analysé comme le prolongement d’une logique coloniale visant à contrôler et réduire la population palestinienne. Comme le souligne l’intellectuel camerounais Achille Mbembe dans ses travaux sur la « nécropolitique », les puissances coloniales utilisent souvent des mécanismes de domination (blocus, déplacements forcés, privation de ressources) pour rendre la vie invivable.
À Gaza, le blocus imposé par Israël depuis 2007, combiné aux restrictions d’aide humanitaire, s’inscrit dans cette dynamique. Les centres de la GHF, gérés par des sociétés de sécurité privées américaines sous protection israélienne, sont décrits par Garb comme des « entonnoirs mortels » situés dans des zones tampons inaccessibles, où les civils risquent leur vie pour accéder à l’aide. Cette configuration rappelle les analyses de Walter Rodney sur l’exploitation néocoloniale, où des structures prétendument humanitaires servent à maintenir un contrôle géopolitique.
Les États-Unis, en soutenant la GHF tout en livrant des armes à Israël, apparaissent comme complices d’un système qui, selon Amnesty International, soumet les Palestiniens à des « conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique ». Les critiques de l’ONU et d’ONG comme Médecins du Monde convergent pour estimer que les bilans officiels, limités à 61 000 morts, sous-estiment l’ampleur réelle de la crise, notamment en raison des corps non recensés sous les décombres et des décès indirects causés par la famine et les maladies.
Voix dissidentes : un appel à la justice
Des voix internationales, comme celle de Francesca Albanese, ont appelé à une action urgente pour mettre fin à ce qu’elle qualifie de « génocide » à Gaza. Nombreux sont ceux qui dénoncent l’indifférence des puissances occidentales face à l’effacement d’un peuple.
Le rapport de Garb, bien que centré sur les centres d’aide, alimente ce débat en révélant un déficit démographique qui ne peut être ignoré. Les estimations de The Lancet suggèrent que le nombre réel de morts pourrait être sous-estimé de 40 %, tandis qu’une projection de juillet 2024 anticipait jusqu’à 598 000 morts si le conflit se prolongeait.
L’UNICEF a communiqué ce 25 juin 2025 sur la situation à Gaza. L’article s’intitule « Gaza : un cimetière à ciel ouvert » et indique que depuis le début de l’année, près de 1 000 camions de l’ONG ont pu acheminer des fournitures essentielles dans la bande de Gaza et 1 000 autres sont prépositionnés dans les couloirs humanitaires. Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) alerte sur un risque de famine affectant 470 000 personnes, soit 22 % de la population de Gaza.
Une question essentielle : où sont les 377 000 disparus ?
Le chiffre de 377 000 « disparus » ne signifie pas nécessairement 377 000 morts, mais il pose une question cruciale : où sont ces personnes ? Comme le note Garb, certaines peuvent être déplacées dans des zones dévastées, d’autres détenues dans des prisons israéliennes, où la torture est documenté par des ONG qui ont pu recueillir des témoignages de palestiniens.
Cependant, l’ampleur de cet écart, tirée des propres données des FDI, suggère une catastrophe humanitaire bien plus grave que les bilans officiels. Les bombardements intensifs, la destruction d’infrastructures vitales et le blocus humanitaire ont créé un environnement où la survie est devenue un défi quotidien pour les Gazaouis.
La communauté internationale, divisée entre le soutien à Israël et les appels à la justice, doit répondre à cette crise. Alors que des pays comme les Pays-Bas et le Canada ont suspendu certaines livraisons d’armes à Israël, les États-Unis continuent d’alimenter le conflit, selon Human Rights Watch.
Dans ce contexte, la mobilisation portée par des intellectuels, des ONG et militants, appelle à une reconnaissance des responsabilités historiques et actuelles des puissances occidentales dans la tragédie de Gaza.