Depuis avril 2023, le Soudan est déchiré par une guerre civile opposant les Forces armées soudanaises (SAF), dirigées par Abdel Fattah al-Burhan, aux Forces de soutien rapide (RSF), sous le commandement de Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti ». Ce conflit, né d’une lutte pour le contrôle du pouvoir et des ressources, a plongé le pays dans une crise humanitaire sans précédent : plus de 20 000 morts, 13 millions de déplacés, dont 2 millions de réfugiés, et 25 millions de personnes confrontées à l’insécurité alimentaire. Si les rivalités internes entre Burhan et Hemedti sont au cœur de la guerre, les ingérences étrangères, notamment des Émirats arabes unis, de l’Égypte, de la Russie et de l’Iran, aggravent les tensions et compliquent les efforts de paix. Dans un contexte où le Soudan risque de devenir « l’épicentre de la prochaine grande crise africaine », cet article explore les dynamiques internes et externes qui alimentent ce conflit dévastateur.
Une rivalité interne pour le pouvoir et les ressources
La guerre civile soudanaise trouve ses racines dans la chute d’Omar el-Béchir en 2019, renversé par un mouvement populaire soutenu par l’armée et les RSF. Burhan, chef des SAF, et Hemedti, leader des RSF, anciens alliés dans le coup d’État de 2021, se sont disputés le contrôle du processus de transition démocratique.
Selon le Middle East Research and Information Project (MERIP), « les désaccords se concentrent autour du ministère des Minerais, l’une des institutions les plus critiques économiquement en raison de la gestion de l’or et du pétrole, principales sources de revenus dans une économie en plein effondrement ». L’échec de l’intégration des RSF dans l’armée, prévu par l’accord de transition, a précipité les hostilités en avril 2023.
En 2025, l’armée a repris l’avantage à Khartoum, Omdurman et Gezira, capturant des armes des RSF, y compris des caisses de munitions étiquetées du Kenya. Cependant, l’ancien Premier ministre Abdalla Hamdok a averti que « les victoires récentes de l’armée ne mettront pas fin à la guerre civile ». Les RSF, retranchées à Darfour, continuent de contrôler des zones clés, déclarant même une autorité rivale en avril 2025. Cette fragmentation reflète une lutte pour le contrôle des ressources, notamment l’or, dont les exportations profitent aux factions belligérantes et à leurs soutiens étrangers.
Ingérences étrangères : un jeu géopolitique complexe
Les puissances régionales et internationales exacerbent le conflit en soutenant les deux camps. L’armée bénéficie du soutien de l’Égypte, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de l’Ukraine et du gouvernement de Tripoli en Libye, tandis que les RSF sont appuyées par les Émirats arabes unis, la Russie et le Parlement de Tobrouk en Libye, dirigé par Khalifa Haftar. Ces allégeances, bien que non confirmées officiellement dans leur intégralité, reflètent un consensus parmi les analystes sur l’implication étrangère.
Les Émirats arabes unis, malgré leur déclaration de neutralité, sont accusés de fournir des drones aux RSF, notamment lors des attaques sur Port Soudan en mai 2025. Le Soudan a été débouté par la Cour internationale de Justice après une plainte accusant les Emirats arabes unis de complicité de génocide. Khartoum a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Abou Dabi.
L’Égypte, quant à elle, soutient l’armée pour préserver son influence sur le Nil et la stabilité régionale, tandis que l’Iran fournit des armes et des drones via l’Arabie Saoudite pour infliger une défaite aux Emirats Arabes Unis. La Russie, bien que divisée dans ses soutiens, a des liens avec les RSF via le groupe Wagner, tandis que l’Ukraine soutient l’armée pour contrer l’influence russe.
Selon le Conseil Mondial de l’Or (WGC) le groupe de mercenaires russes Wagner a extrait illégalement et pillé 2,5 milliards de dollars d’or des terres africaines depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022. Le Soudan possède d’ailleurs l’une des plus grandes réserve d’or du continent africain. De l’or qui est ensuite revenu sur le marché parallèle aux Emirats Arabes Unis.
C’est par Dubaï, bien connu pour son marché de l’or, que transitent 93 % des exportations africaines non déclarées”, explique Swissaid.
Une crise humanitaire sans précédent
La guerre a engendré une catastrophe humanitaire, qualifiée par l’ONU de « grave urgence en matière de droits humains et de protection ». Avec 25 millions de personnes en insécurité alimentaire et 13 millions de déplacés, dont 2 millions de réfugiés au Tchad et ailleurs, le Soudan fait face à la pire crise humanitaire mondiale.
Au Darfour, des témoignages comme celui d’Alawia Babiker Ahmed, 19 ans, qui a perdu son bébé en fuyant les attaques, illustrent l’horreur vécue par les civils. À Port Soudan, hub humanitaire clé, les frappes de drones ont visé un hôpital et un dépôt de carburant, aggravant les pénuries.
Les coupes dans l’aide internationale aggravent la situation. L’administration Trump a réduit le financement de l’USAID, fermant 60 % des cuisines d’urgence, ce qui a eu des « conséquences fatales » pour les enfants. Le Programme alimentaire mondial a averti que les fonds actuels ne suffisent pas à répondre aux besoins, avec 10 régions en situation de famine. Les violations du droit international, comme l’utilisation d’armes chimiques et le recrutement d’enfants soldats par les RSF, intensifient la souffrance des civils.
Une lueur d’espoir dans la médiation régionale ?
Face à l’impasse, la médiation régionale apparaît comme la seule voie viable pour un cessez-le-feu. L’Arabie saoudite, malgré ses tensions avec les Émirats, a appelé à un dialogue inclusif, tandis que le Qatar et l’Égypte explorent des pourparlers séparés.
Cependant, les rivalités géopolitiques et les intérêts économiques, notamment autour de l’or et du pétrole, freinent les progrès. Comme l’a déclaré un analyste dans The Conversation, « seule une diplomatie régionale, affranchie des agendas étrangers, peut restaurer la souveraineté soudanaise ».
La société civile soudanaise, bien que marginalisée, continue de plaider pour la paix. Des groupes locaux à Port Soudan ont organisé des distributions d’aide malgré les attaques. Ces initiatives rappellent l’urgence de protéger les corridors humanitaires, comme celui d’Adré au Tchad, où 2 millions de réfugiés dépendent de l’assistance. Pour le Soudan, la fin du conflit passe par une réconciliation interne et une limitation des ingérences étrangères, mais le chemin reste semé d’embûches.
Vers une paix souveraine
La guerre civile au Soudan, alimentée par les rivalités entre Burhan et Hemedti et amplifiée par les ingérences étrangères, menace de fragmenter le pays et de déstabiliser la région. Les puissances comme les Émirats, l’Égypte et la Russie, en poursuivant leurs agendas, prolongent une crise qui a déjà coûté des dizaines de milliers de vies et déplacé des millions de personnes.
Face à l’inaction internationale, marquée par les coupes dans l’aide américaine, une médiation régionale portée par l’Arabie saoudite et l’Égypte pourrait ouvrir la voie à un cessez-le-feu. Cependant, comme l’a souligné Abdalla Hamdok, « il n’y aura pas de solution militaire ».