Le 1er mai 2025, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés à Paris et Lyon pour honorer la mémoire d’Aboubakar Cissé et dénoncer une montée des violences islamophobes. Ce cri de colère reflète un constat brutal : 145 actes islamophobes ont été enregistrés entre janvier et mai 2025, contre 83 à la même période en 2024 soit une hausse de 75 %, selon le ministère de l’Intérieur.
Je n’ai pas l’impression que l’on [les musulmans] soit entendu et représenté dans les médias ou au gouvernement. […] À un moment il faut poser les mots et appeler ça de l’islamophobie. »
— Yasmina, 52 ans, fonctionnaire, Place de la République, Paris
Parmi ces infractions, les atteintes aux personnes (agressions physiques et verbales) explosent, passant de 32 à 99 cas, soit +209 %, d’après les autorités . Derrière ces chiffres, c’est une France où le quotidien devient dangereux pour de nombreux musulmans.
Violences et cibles précises
Au cœur de ces actes : des haineux ciblages ethno-religieux. Femme voilée violentée, mosquées vandalisées… les attaques se multiplient.
Début mai, une agression brutale à Reims a été relayée par le média communautaire SaphirNews : une jeune femme voilée bousculée violemment à la sortie du lycée, insultée de « terroriste ». Bien que la scène ait été filmée, aucune interpellation n’a eu lieu.
Ces incidents s’inscrivent dans un continuum : du harcèlement verbal au passage à l’acte violent, signe que le voile islamique devient une cible, après 20 ans de polémique dans les médias et à l’Assemblée Nationale.
Meurtre à La Grand-Combe : le point de rupture
Le 25 avril 2025, un événement dramatique marque un tournant : Aboubakar Cissé, 22 ans, est poignardé à plus de 40 reprises dans la mosquée Khadidja de La Grand-Combe (Gard). Le tueur filme l’acte, accompagné d’insultes islamophobes.
Le choc est national : une marche blanche et un rassemblement à Paris rassemblent des milliers de personnes autour de slogans comme « Le racisme tue » et « Stop à l’islamophobie ». Parmi les manifestants, Yasmina critique l’absence de réaction médiatique équivalente à d’autres affaires :
Si cela avait été une victime d’une autre religion, […] nous aurions été au soutien. Il existe un deux poids deux mesures. ».
À Tremblay-en-France, des milliers de fidèles se rassemblent à la grande mosquée pour une prière de l’absent. Une femme s’inquiète pour ses enfants :
Moi personnellement… je dis à mes enfants de faire attention, on n’est pas serein… ».
À Bordeaux, Sultana, psychologue, confie à France Inter :
Je sens beaucoup de peur… À chaque fait divers, je tremble dans l’attente du nom de l’auteur. »
Un climat de terreur psychologique, qui dépasse les seuls auteurs des actes.
L’État : temps de latence et non-dit institutionnel
Le gouvernement et la police semblent lents à qualifier le phénomène d’islamophobie. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, tarde à réagir, surtout que quelques semaines avant, lors d’un meeting, il déclare : « À bas le voile, vive le sport ! ». Des propos extrêmement violents pour de nombreuses musulmanes qui portent le hijab en France et qui se sentent en insécurité.
A Place Beauvau, il est hors de question de se rendre à la mosquée où a été tué Aboubakr, on se contentera d’un passage à la préfecture puis quelques jours après à la Grande Mosquée de Paris.
Pour le député insoumis Paul Vannier, c’est clairement un manque de considération pour la victime.
Pour Bruno Retailleau il y aurait des « Français de papier ». Et manifestement des victimes de seconde zone », a-t-il tancé sur X.
Selon la procureure de la République de Nîmes, si Olivier Hadzovic a frappé de dizaines de coups de couteau sa victime musulmane dans une mosquée ce n’est pas par volonté de commettre un acte terroriste, c’est « dans un contexte isolé » et avec une « envie obsessionnelle de tuer ».
Fin mai, un terroriste d’extrême droite tirera sur plusieurs musulmans dont un tunisien tué sur le coup alors qu’il était devant son lieu de travail en train de parler au téléphone à sa mère.. A nouveau, les médias et politiques auront été discrets alors que le coupable d’extrême droite a explicitement justifié ses actes dans des vidéos de revendication.
Des données sous-évaluées
Si l’État recense 145 actes, les associations estiment que le vrai nombre est bien supérieur. Le Collectif Contre l’Islamophobie en Europe (CCIE) évoque une fourchette entre deux à trois fois plus d’actes non signalés.
La raison ? Souvent, les victimes échouent à déposer plainte par peur, par découragement, ou parce que les services d’enquête refusent de reconnaître la motivation religieuse derrière l’acte.
Les voix s’élèvent devant le peu de réaction politique hormis La France Insoumise. Le rassemblement du 11 mai à Paris réunit plusieurs milliers de personnes contre « la progression de l’islamophobie en France ».
Un tournant décisif
Les chiffres sont là, les témoignages aussi. Des victimes qui tremblent, des familles brisées, et une communauté qui exige d’être prise au sérieux. La France se trouve à la croisée des chemins : ignorer ce phénomène, c’est accepter qu’il continue.
Ce 3 juillet 2025, ce constat est clair : l’islamophobie ne se mesure pas seulement en données, mais en vies brisées. Et une société juste commence par nommer la haine qu’elle laisse proliférer.