Empoisonner de la nourriture halal, assassiner 200 imams, poser des bombes devant les mosquées : les projets de l’Action des Forces Opérationnelles (AFO) étaient clairs. Pourtant, après des années d’instruction, ce groupe d’extrême droite a bénéficié d’un traitement judiciaire en demi-teinte. Enquête sur une justice à deux vitesses face au terrorisme d’extrême droite.
Un groupe armé aux projets meurtriers
L’Action des forces opérationnelles (AFO) est un groupe armé islamophobe et nationaliste blanc français fondé en août 2017 par Guy Sibra et Dominique Compain, puis démantelé en juin 2018. Il est soupçonné par la justice française d’avoir planifié des attaques terroristes visant des personnes musulmanes.
Dans un contexte post-attentats du 13 novembre 2015, Guy Sibra, vendeur de matériels militaires déclassés, ancien brigadier-chef des Compagnies républicaines de sécurité, estime que les mouvements d’extrême droite légalistes ne vont pas assez loin. Il fonde alors l’AFO avec un objectif clair : passer à l’action violente contre les musulmans de France.
Seize membres d’un groupuscule baptisé Action des forces opérationnelles (AFO), convaincus qu’il faut « défendre la civilisation » en préparant des attentats contre des musulmans – parmi lesquels 200 personnalités musulmanes ciblées. Parmi leurs projets : tuer des imams, attaquer des mosquées, empoisonner de la nourriture halal et faire exploser au moins une mosquée.
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Une infiltration qui révèle l’ampleur des projets
Les projets de l’AFO ne relevaient pas du fantasme. Le groupe d’ultradroite islamophobe disposait de moyens concrets pour passer à l’acte. Des imams avaient été pris en filature dans le but de les exécuter plus tard. Parmi les coprévenus figurent un ancien diplomate, un ingénieur, une infirmière et un vétéran d’Afghanistan.
Le démantèlement du groupe terroriste en juin 2018 résulte d’une infiltration par un agent des services de la DGSI. Cette opération a permis de saisir des éléments probants sur les intentions du groupe et ses capacités opérationnelles. Les perquisitions ont révélé la possession d’armes et d’explosifs, ainsi que des schémas de fabrication de bombes artisanales.
Sept ans après avoir été perquisitionnés et interpellés, 16 membres d’Action des forces armées (AFO) sont jugés pour « association de malfaiteurs terroriste ». Cette qualification terroriste, maintenue pendant des années d’instruction, témoigne de la gravité des faits reprochés.
Un procès en correctionnelle plutôt qu’aux assises
Premier élément révélateur du traitement judiciaire : le procès des terroristes présumés, arrivés libres, s’est ouvert mardi devant le tribunal correctionnel de Paris.
Ce renvoi devant le tribunal correctionnel, et non devant une cour d’assises, constitue déjà une première forme de déclassement des faits. Les peines encourues ont ainsi été réduites car « les projets d’action violente ne sont pas pleinement finalisés ».
Cette conclusion juridique minimise la dangerosité du groupe, malgré la possession d’armes et d’explosifs et l’existence de projets concrets d’attentats.
Des réquisitions timides du parquet
Le parquet du tribunal correctionnel de Paris a requis jusqu’à cinq ans de prison lors des audiences qui se sont tenues en juin 2025.
Ces réquisitions, minimales au regard des projets terroristes, contrastent avec le traitement habituel des affaires de terrorisme. Cinq ans maximum pour des projets d’assassinats de masse et d’empoisonnement : l’écart entre la gravité des faits et les peines requises interroge sur la perception du danger que représente l’extrême droite violente.
Le silence assourdissant des institutions
Aucune réaction publique du ministère de l’Intérieur ou de Matignon n’a accompagné ce procès. Cette absence de communication politique contraste avec la médiatisation systématique des affaires liées au terrorisme.
Les grands médias ont également fait preuve d’une discrétion remarquable sur cette affaire. Alors que chaque arrestation dans le cadre de la lutte antiterroriste fait l’objet d’une couverture médiatique intensive, le procès de l’AFO s’est déroulé dans une relative indifférence médiatique.
Cette clémence judiciaire s’inscrit dans un contexte politique où l’islamophobie bénéficie d’une légitimité croissante dans le débat public. Le Ministre de l’Intérieur avait d’ailleurs récemment déclaré lors d’un meeting « A bas le voile » devant ses partisans.
Deux poids, deux mesures
Là où des fichés S font l’objet d’assignations à résidence préventives, où l’état d’urgence permanent justifie des perquisitions administratives, où des peines de plusieurs dizaines d’années sont prononcées, les projets terroristes d’extrême droite bénéficient d’une approche judiciaire minimaliste.
Cette différence de traitement ne relève pas du hasard. Elle révèle la hiérarchisation des menaces opérée par l’État français, où le terrorisme d’extrême droite est perçu comme moins dangereux que le terrorisme jihadiste, malgré des projets d’égale gravité.
Un message politique inquiétant
Le traitement judiciaire de l’AFO envoie un message politique clair : l’islamophobie violente peut compter sur l’indulgence des institutions. Cette clémence constitue un encouragement objectif à la radicalisation d’extrême droite, en démontrant que les projets terroristes islamophobes ne sont pas pris au sérieux par la justice.
Dans un contexte de montée de l’islamophobie et de banalisation des discours de haine, cette affaire judiciaire contribue à normaliser la violence d’extrême droite. Elle participe d’une logique d’impunité qui traverse l’ensemble du système français quand il s’agit de traiter les violences islamophobes.
Vers une banalisation de la violence islamophobe ?
Malgré des projets terroristes documentés, malgré la possession d’armes et d’explosifs, malgré l’existence de cibles précises, la justice française a choisi la voie de la clémence.
Cette approche minimaliste pose question sur la capacité de l’État français à lutter efficacement contre toutes les formes de terrorisme. Elle révèle surtout la complaisance dont bénéficie l’extrême droite violente, y compris quand elle planifie des massacres de masse.
Les projets de l’AFO n’étaient pas des fantasmes : ils étaient l’expression d’une idéologie meurtrière prête à passer à l’acte. Le traitement judiciaire dont a bénéficié ce groupe constitue un précédent inquiétant pour l’avenir de la lutte contre l’islamophobie violente en France.