Vingt-deux ans après la canicule 2003, rien n’a changé. Pire : tout empire.
84 départements en vigilance orange, 16 en rouge. 42°C annoncés dans certaines régions. Le mois de juin 2025 s’annonce comme le plus chaud depuis 2003. Les chiffres tombent comme des couperet, mais ils ne disent rien de l’essentiel : cette sensation d’étouffer dans un pays qui refuse obstinément de regarder sa propre agonie climatique.
L’été 2025 est une fournaise, oui. Mais surtout, c’est un miroir tendu à notre indifférence collective. Les nuits tropicales s’enchaînent, le mercure ne redescend pas sous les 23-24°C, transformant nos villes en fours à ciel ouvert. Et pourtant, rien ne change. Un ouvrier du BTP âgé d’une trentaine d’années est décédé à Besançon après s’être plaint de la chaleur, 1350 écoles publiques sont fermées du jour au lendemain, plusieurs réacteurs nucléaires sont à l’arrêt avec les risques qui vont avec et des pics de pollution sont recensés dans de nombreuses métropoles.
Sur les plateaux télé, on ressort les mêmes conseils usés jusqu’à la corde : boire de l’eau, rester à l’ombre, éviter les efforts. Les ministres s’y mettent aussi devant les caméras. Un numéro vert a même été créé pour l’occasion ! M ais à quoi bon se mettre à l’ombre quand l’ombre n’existe plus ? Quand nos villes sont devenues des déserts de béton et d’asphalte, quand les arbres centenaires ont été sacrifiés sur l’autel de la densification urbaine ?
L’amnésie française
2003 devait être un électrochoc. 15 000 morts, des images de corps entassés dans des camions frigorifiques, une prise de conscience nationale. Vingt-deux ans plus tard, on découvre que ça n’a été qu’un teaser. Une répétition générale avant l’horreur qui vient.
Cette fois, on tait pudiquement les chiffres de la surmortalité. Pas d’images choc, pas de décompte macabre. Juste cette chaleur qui tue en silence, dans l’indifférence médiatique. Parce que maintenant, mourir de chaud, c’est devenu banal. Une simple variable d’ajustement démographique dans un pays qui a renoncé à protéger ses plus fragiles.
Les gouvernements se sont succédé, les COP aussi, les plans canicule se sont empilés sur les étagères poussiéreuses des ministères. Et pendant ce temps, les milliards ont continué à irriguer les poches des promoteurs qui bétonnent, des pétroliers qui réchauffent, des marchands de clim qui s’enrichissent sur notre suffocation collective.
L’adaptation ou la capitulation
La rénovation thermique des logements ? Devenue un luxe pour bobos écolos à cause des renonciations du gouvernement. Les îlots de fraîcheur ? Sacrifiés pour construire toujours plus de bureaux vides et de centres commerciaux. La santé publique ? Délabrée par des décennies de gestion comptable qui ont transformé nos hôpitaux en mouroirs sous-équipés.
On nous parle de « résilience », ce mot fourre-tout qui justifie tous les renoncements. Mais à quoi bon « s’adapter » à une planète invivable, quand on pourrait juste arrêter de la rendre invivable ? Pourquoi apprendre à survivre dans un four quand on pourrait éteindre le feu ?
La canicule devrait être un moment de rupture. Un temps pour fermer les écoles, suspendre les activités non vitales, refroidir les cerveaux autant que les corps. Au lieu de ça, on nous demande de continuer à faire tourner l’économie, coûte que coûte. Quitte à y laisser notre santé. Quitte à laisser crever les plus pauvres dans leurs HLM transformés en fours solaires.
L’apartheid climatique
Et pendant que les vieux riches s’enferment dans leurs résidences secondaires climatisées, les jeunes s’endettent pour des ventilateurs made in China qui tombent en panne dès les premiers 40°C. La mer Méditerranée affiche 5°C de plus que la normale, mais ceux qui peuvent encore se payer des vacances au bord de cette soupe chaude continuent de faire comme si de rien n’était.
On pourrait presque leur proposer une taxe canicule : chaque degré au-dessus de 35°C payé par les générations responsables de ce désastre. Chaque nuit tropicale facturée aux actionnaires d’ExxonMobil et de Total. Chaque mort de chaud imputée sur les comptes en Suisse des climatosceptiques professionnels.
Mais non. Rien ne bouge. Parce que dans cette société, même mourir doit être rentable. La canicule, c’est bon pour le business des vendeurs de climatiseurs et des marchands d’eau en bouteille. C’est même excellent pour nettoyer les budgets des maisons de retraite en éliminant naturellement les pensionnaires les plus coûteux.
Les cendres du futur
Alors on continue. Jusqu’à la prochaine canicule, encore plus meurtrière. Jusqu’à la prochaine « surprise météorologique », comme s’il était encore possible de feindre l’étonnement. Jusqu’à ce que le futur devienne ce champ de cendres climatisé pour les plus riches que nous sommes en train de construire, pierre après pierre, mensonge après mensonge.
L’été 2025 pourrait être encore plus chaud qu’en 2003, nous préviennent les météorologues. Mais qui écoute encore les scientifiques dans un pays où les climatologues sont traités de prophètes de malheur et les militants écologistes de terroristes ?
Il fait 42°C dehors, et nous continuons de faire semblant de vivre normalement. Nous continuons de faire semblant que tout va bien, que c’est juste un mauvais moment à passer, que la technologie nous sauvera.
Mais la vérité, c’est que nous sommes déjà morts. Nous sommes déjà les fantômes d’un monde qui s’effondre, les derniers témoins d’une civilisation qui a choisi le suicide collectif plutôt que la remise en question.
Et il fait si chaud qu’on n’a même plus la force de pleurer.